Pourquoi la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) devient-elle incontournable ?
A l’approche de la COP 21, j’ai interviewé Marc Unfried, conseiller sociétal.
Ses retours d’expériences dans le domaine de la RSE, où il accompagne de nombreux acteurs depuis plus de 15 ans sur ces sujets, permettent de mieux cerner, dès à présent, les enjeux auxquels devront rapidement faire face, les structures privées et publiques, et ce quelles que soient leurs tailles.
Comment peut-on changer le monde pour en faire un monde meilleur, plus agréable à vivre pour tous ?
Comment développer son activité tout en respectant l’environnement et en ayant une démarche éthique vis-à-vis de ses partenaires ?
J’imagine que je ne suis pas le seul à me poser ces questions. Je n’ai pas la prétention de changer le monde, par contre, je suis convaincu que si chacun de nous agit de manière sage et éclairée, nous contribuerons à construire un monde en harmonie avec nos valeurs profondes que nous serons fiers de transmettre aux générations futures.
Ma modeste contribution est donc de donner la parole à Marc pour :
- d’abord comprendre ce que les organisations ont à gagner en intégrant une démarche de responsabilité sociétale.
- ensuite, voir comment elles peuvent, pas à pas, aborder ce domaine sans s’y perdre
- et enfin comprendre ce qui va se jouer à la COP21 avec les répercussions pour les organisations dans leur implication à suivre une démarche RSE
J’ai eu l’occasion de rencontrer Marc lors d’une réunion de l’association RSE Lib qu’il préside (https://marcunfried.wordpress.com/rse-lib/).
Le projet collaboratif de cette association visant à promouvoir la Responsabilité Sociétale m’a rapidement séduit. Les nombreux scandales démontrent un peu plus chaque jour que le profit à tout prix en plus d’être moralement scandaleux est le plus sûr moyen de mener des entreprises à leurs pertes ou les mettre face à de graves difficultés (exemples : Exxon, Arthur Andersen, Merryl Lynch, Spanghero, Volkswagen, …)
Sylvain Renard : Tout d’abord, pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore, peux-tu te présenter en quelques mots.
Marc Unfried : Je suis conseiller sociétal.
Les décideurs ont besoin d’un conseil expérimenté car les décisions prises par des organisations publiques ou privées engagent leur responsabilité RSE sur le long terme.
Dans ce domaine, il n’y a pas de délai de prescription et certaines décisions peuvent avoir de lourdes conséquences quelques années plus tard.
Mon rôle est d’aider les organisations à prendre conscience des enjeux de la RSE et leur impact concret sur leurs activités présentes et à venir. Je les accompagne dans le projet d’adaptation de leur organisation à de nouveaux enjeux stratégiques loin des postures «défensives et affirmatives» qui deviennent obsolètes.
Une appropriation sincère et maîtrisée de la valeur « Éthique », leur permet ainsi d’augmenter leur capital immatériel et de pérenniser au mieux leurs activités.
SR : Comment devient-on conseiller sociétal ?
MU : Mon chemin s’est construit dans le 20e siècle et se poursuit dans le 21e. Dans les différentes fonctions que j’ai occupées (Commerce, Marketing, Système d’information, Finance, RH…) j’ai toujours cherché à faire grandir les organisations et les hommes au travers d’elles. Après 25 années de Comité de Direction dans des secteurs très différenciés (Médical, Industriel, Prestations intellectuelles, Agroalimentaire…) j’ai acquis la conviction qu’une gouvernance éthique produisait de bien meilleurs résultats.
A un moment où je me suis interrogé sur ce chemin parcouru, j’y ai trouvé un fil rouge, celui de la responsabilité sociétale des entreprises. Même si elle n’était pas verbalisée, je l’exprimais de manière inconsciente, plutôt basée sur le bon sens et l’intérêt général.
SR : Avec le recul, en tant que manager, décideur as-tu pu prendre des décisions parfois négatives au regard de la RSE ? Quelle conclusion en as-tu tirée ?
MU : En faisant a posteriori l’analyse, il s’est avéré que les structures n’avaient pas une vision RSE claire. Par conséquent, les impacts de certaines décisions pouvaient ressurgir quelques années plus tard et avoir de lourdes conséquences.
En travaillant sur l’élaboration de la norme ISO 26000 en 2004 et jusqu’à sa publication en 2010, je me suis rendu compte qu’il serait nécessaire pour les organisations d’être conseillées sur sa traduction managériale, c’est comme ça qu’est né chez moi l’idée de conseil sociétal.
Cette vision du conseil sociétal s’est confirmée quand dans ma dernière partie professionnelle en tant que salarié, J’ai travaillé sur la réconciliation du financier avec l’extra-financier d’un groupe familial et international. J’ai ainsi pu mettre en évidence que l’entreprise au-delà de son objectif de résultat pour l’actionnaire, avait tout intérêt à adopter une gestion intelligente et raisonnée de ses décisions « Si on ne met pas d’éthique et de RSE on va dans le mur.»
Cela raisonne avec la déviance récente de certaines organisations qui n’ont pas hésité à commettre de nombreuses « sorties de route », ce qui explique en partie une situation de crises répétitives dont on a du mal à tirer les leçons.
La pratique des affaires demande chaque année plus d’énergie et avec souvent moins de moyens, d’où l’importance de prendre les bonnes décisions et pour cela d’avoir une grille de lecture où la responsabilité sociétale des entreprises est au centre de la stratégie. Cette montée en maturité ne se fait pas du jour au lendemain. C’est une prise de conscience des décideurs, des actionnaires confrontés aux difficultés de marchés, aux échanges que nous avons ensemble. Les choses mûrissent et le basculement se fait petit à petit, contribuant à une amélioration constante.
SR : Concrètement qu’est-ce que les entreprises peuvent gagner à adopter une démarche RSE ?
MU : De nombreuses études en Amérique du Nord ont montré l’impact de la RSE permettant de réconcilier les éléments financiers et extra financiers :
Comme le montrent ces chiffres, en élevant le comportement éthique dans son activité cela induit à la fois de meilleurs résultats et une réduction des risques tout en contribuant à plus de sens, plus de plaisir, et moins de stress pour les équipes.
Lorsque la vision RSE est claire, que l’on est plus droit dans ses bottes, on soutient mieux ses positions, on peut développer un leadership et renforcer l’argumentaire avec les partenaires notamment lorsqu’il y a un point dur dans une entreprise.
On a la hauteur de vue pour être plus armé sur l’impact de ses décisions. Il est ainsi plus facile d’amener les autres à son point de vue dans les arguments présentés.
Plus on partage les décisions avec les parties prenantes, plus on atténue les effets de non compréhension, ce qui facilite et nourrit le dialogue.
« Il n’y a pas d’idéologie, surtout du bon sens et la nécessité de revisiter la manière de traiter ses affaires. »
SR : Quel est l’enjeu de la COP 21 pour les entreprises ?
MU : Le changement climatique est un des enjeux clés de notre développement durable, comme l’eau, la biodiversité, les ressources primaires, les énergies renouvelables. Ces enjeux sont le quotidien des territoires où les entreprises, qui y sont implantées, par leurs pratiques RSE contribuent à leur réalisation et confirment ainsi leur statut d’organisations citoyennes.
« Ce n’est pas parce que le changement climatique est planétaire que c’est l’affaire des autres. Si c’est celui des états, cela devient celui des territoires et donc de chaque citoyen, a fortiori celui des entreprises ».
Quand les états prennent des engagements entre eux, indirectement les entreprises seront sollicitées volontairement ou auront des obligations pour atteindre ces objectifs.
Plus les entreprises sont transnationales plus elles doivent suivre de près ces discussions.
« Savez-vous que le premier secteur d’activité le plus polluant est … La banque ! »
Oui, la banque, car cette activité finance des entreprises qui ont un impact sur l’effet de serre, c’est un effet domino.
Notre économie est trop « carbonée », tous les experts du climat en conviennent, nous sommes, les entreprises sont, trop dépendants du carbone.
SR : Mais alors, que peuvent faire les entreprises pour réduire cette dépendance au carbone ?
MU : Elles ont à disposition une boîte à outils pour agir en faveur du changement climatique : ce sont des pratiques RSE
Pour une entreprise il y a 3 lignes directrices :
– Atténuer le changement climatique en revoyant son process (covoiturage, système moins gourmand pour produire, isolation des bâtiments….)
– Compenser : je ne peux pas changer mon modèle économique, je compense mes émissions par la reforestation…
– S’adapter : j’adapte mon activité au changement du climat. S’il n’y a plus de neige en montagne par exemple, j’anticipe en développant de nouvelles activités.
Le changement climatique avec l’envie d’être un acteur engagé de son territoire et d’agir pour le bien commun, est une formidable opportunité d’intégrer une politique RSE à ses activités. La question que devrait se poser tout dirigeant éthique et responsable est :
Mon activité peut-elle rester pérenne et résister à une augmentation de température de quelques °C ? Quels impacts auront la diminution des ressources (énergies, eau, matières premières..) et l’envolée de certains prix, sur mes fournisseurs, distributeurs et clients ?
Il y a actuellement une prise de conscience mondialisée des décideurs économiques et politiques. Plus l’engagement des états se resserre plus la pression va descendre.
Le non-respect des pratiques RSE impliquera moins de subvention, moins de crédit pour les entreprises. Ce ne sont pas uniquement les états, mais aussi les banques, les assureurs (certains comme Generali l’applique déjà auprès de leurs clients) qui pousseront les entreprises à respecter une démarche RSE.
« Il est donc préférable de commencer à mettre en place une démarche RSE dès maintenant, tranquillement, plutôt que d’avoir à subir une obligation réglementaire ensuite, car plus le temps passe, plus la marche sera haute à franchir et l’écart important face aux concurrents».
Pour en savoir plus sur Marc Unfried : https://marcunfried.wordpress.com/myrse/